Post by AnneExiste-t-il du correcteur pour pierres tombales ?
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Subject: Chronique gastronomique : le prospectus cet inconnu.
Date: Sun, 20 Oct 2002 16:30:42 GMT
Je ne sais pas vous, mais moi je possède une boîte aux lettres. C'est
moins affectueux qu'un pitbull mais plus facile à nourrir et bien
moins coûteux. La mienne ingurgite factures et prospectus dont elle
fait une consommation gloutonne. Le pitbull lui, se nourrirait plus
volontiers de facteurs ou de tout ce qui serait susceptible
d'approcher à moins de cinquante mètres de la boîte.
Quoique un peu en avance sur les mentalités d'une époque privilégiant
la sensiblerie au détriment de l'efficacité, il y aurait là un moyen
pratique pour éviter des monceaux de courriers rarement souhaités.
En attendant qu'une réglementation un peu dépassée cesse de tenir pour
secondaires les aspirations profondes de l'animal de compagnie devant
les prétentions exagérées de tout un chacun au respect de son
intégrité physique, il faut soi-même débarrasser chaque jour la boîte
aux lettres d'un tas de missives et prospectus qui finiront
tragiquement dans la poubelle à l'issue d'un bref coup d'œil.
La plupart vantent sans beaucoup de finesse et à grand renfort de
gourdasses épanouies, les félicités toujours renouvelées de pulsions
consuméristes à satisfaire de toute urgence à l'hypermarché le plus
proche ou au volant d'un quelconque bolide aux caractéristiques
déraisonnables pour ne pas dire meurtrières.
Mais il en est cependant qui fort heureusement échappent à la
vulgarité mercantile qui caractérise l'essentiel de la production.
C'est ainsi que j'ai trouvé dans une livraison récente, un prospectus
vantant avec une sobriété et une retenue tarifaire du meilleur aloi,
des objets à caractère très nettement funéraire.
On y trouvait l'amphore en plastique lesté à 3 euros ainsi qu'au même
prix, le vase funéraire de pareille composition non moins lesté à
côté de la plus traditionnelle plaque en marbre chantournée à
l'ancienne dont le prix avoisinant les 25 euros mettait enfin à la
portée des bourses les plus modestes un luxe autrefois réservé à une
élite : l'épitaphe qui fait les beaux posthumes.
Il y avait aussi le spray rénovateur pour pierre tombale longue durée
et la cire de protection pour pierre tombale, patine à l'ancienne.
Est-ce que la " patine à l'ancienne " est censée donner aux pierres
tombales un peu trop neuves l'aspect d'anciennes sépultures dans le
but d'atténuer en la vieillissant prématurément la douleur consécutive
à des décès récents ?
On peut en douter car tout publicitaire digne de ce nom n'aurait pas
hésité un seul instant à vanter le caractère aussi novateur d'un
produit qui vous patine aussi le chagrin. Considérons ça pour le
moment comme un possible effet dérivé non dénué d'intérêt.
On peut regretter que l'annonceur ait, pour présenter ses produits,
fait preuve d'une retenue qui pour être de circonstance n'en allait
pas moins à l'encontre de ses intérêts immédiats. Il aurait pu vanter
les mérites du spray rénovateur en les termes habituels des publicités
à finalité détergente.
En mettant par exemple en scène une terne souillon lessivière aux
cheveux pris dans un torchon à carreaux, aux collants tire-bouchonnant
sur des charentaises éculées, laborieusement occupée à briquer sans
résultats une pierre tombale. Là-dessus serait arrivé nimbé de
lumière et juché sur d'interminables talons aiguille, un bon mètre
quatre-vingt-cinq de courbes voluptueuses sanglées dans une robe du
soir et surmontées d'une époustouflante crinière, tenant à la main le
vaporisateur de TombOlux tout en disant " Mais comment Germaine (ou
Simone, ou Thérèse), tu n'utilises pas comme moi TombOlux, le
véritable produit de beauté des tombes aux taches rebelles ? ".
L'image suivante nous montrerait Janine (ou Chantal) irradiant le
bonheur devant une pierre tombale brillant de tous ses feux,
remerciant éperdue de reconnaissance Samantha (ou Kimberly), " Merci
Deborah, grâce à toi et à TomBolux ma pierre tombale est comme neuve,
tu m'as sauvé la vie. ".
On voit par là qu'il en est de la sobriété comme de beaucoup d'autres
choses, un peu de parcimonie dans son emploi ne saurait nuire, surtout
s'il faut convaincre le cœur de cible un peu chaviré d'investir dans
le spray rénovateur ou la cire " patine à l'ancienne " pour pierre
tombale.
On pourrait penser que la Toussaint approchant, il ne s'agirait là
que de la preuve d'un remarquable opportunisme calendaire. Ce serait
juger un peu hâtivement une tentative intéressante d'inscrire dans une
rassurante banalité quotidienne, celle de faire ses courses, (quoi de
plus quotidiennement banal que d'acheter du spray rénovateur pour
pierre tombale) ce que beaucoup persistent à considérer comme une
certitude désagréable, à savoir leur fin inéluctable.
A moins qu'il ne règne par chez moi un tropisme funéraire particulier,
semble disparaître une certaine crispation archaïque d'origine
probablement judéo-chrétienne à l'égard de la mort. Ainsi
l'entrepreneur des pompes funèbres de mon patelin n'hésite pas chaque
Toussaint à garnir sa boutique de citrouilles, balais et autres
cornichonneries allohouinantes. On espère que lui aussi saura
s'affranchir de certaines pesanteurs encore attachées à l'idée que
l'on se fait de son métier. On verrait assez bien pour accompagner les
citrouilles et les balais des slogans comme " N'attendez pas pour
mourir, profitez de nos promotions ", " Mourez une fois, la deuxième
est gratuite " ou " Le beau cercueil fait le beau défunt ".
On reconnaîtra sans peine que tout ça est autre chose, a autrement de
peps que les traditionnelles images d'indiens kroutchomaltèques ou de
pygmées bongabongas se boyautant à l'enterrement d'un des leurs, que
l'on nous assène régulièrement pour nous convaincre de ce que l'idée
désagréable que nous entretenons à l'égard de notre évanescence
temporelle n'est qu'affaire de point de vue culturel.
Et puis ce n'est même pas certain que les kroutchomaltèques ou les
bongabongas aient à leur disposition du spray rénovateur pour pierre
tombale. Alors de la cire " patine à l'ancienne "... je vous laisse
imaginer. Rira bien qui rira le dernier.