Gallad
2007-11-12 18:21:21 UTC
Xyloglossie
Ma gare est en travaux. Conformément à la loi, la RATP y installe des plans
inclinés et des ascenseurs afin de permettre l'accès aux fauteuils roulants. Un
panneau indique la finalité des travaux (désolé, je n'ai vraiment pas le
courage d'aller le photographier) : « installation d'un ascenseur à
destination des personnes à besoins spécifiques ».
Les personnes à besoins spécifiques : voilà une expression à la pointe des
dernières recherches en linguistique vivante, département de xyloglossie[1]
appliquée, laboratoire de diptéro-sodomie[2] pratique, bureau des
moliventoagonies[3] illusoires. Parce que voyez vous, handicapé, c'était
péjoratif. Du moins pas initialement, mais ça avait fini par le devenir. D'où
l'apparition des personnes à mobilité réduite. Mais l'adjectif réduite
présentait une trop forte connotation négative en sous-entendant clairement que
les personnes étaient diminuées. C'était inacceptable. Il a donc fallu forger
les personnes à besoins spécifiques, terme (pour l'instant) neutre et sans
connotation particulière. Évidemment, on ne comprend plus vraiment de quoi on
parle, mais quelle importance ! Ce n'est pas comme si les mots devaient avoir
un sens immédiatement compréhensible.
La féminisation des noms de fonction relève du même fantasme : en éliminant de
la langue les termes permettant d'exprimer les discriminations, on éliminerait
du même coup les discriminations. Ce n'est ni plus ni moins qu'une idée
totalitaire, digne de 1984 : limiter la pensée en contrôlant le langage. Bien
sûr cela semble moins grave puisque c'est pour la bonne cause (qui est
favorable aux discriminations ?) alors que dans le roman d'Orwell, c'est pour
maintenir une dictature. Mais ça procède exactement du même principe
totalitaire.
Un principe illusoire, puisque j'ai tendance à penser que des idées aussi
primitives que la haine de l'autre précèdent le langage et non l'inverse. Ce
n'est donc pas en rendant impossible l'expression des idées discriminatoires
que l'on supprimera la volonté de discrimination. Pire, ce qui ne serait plus
exprimable verbalement s'exprimerait probablement autrement, par exemple par de
la violence. Ironiquement, ce serait tout à fait contraire au résultat
escompté. C'est que les psychanalystes ont raison sur au moins un point : il
faut maintenir à tout prix les problèmes dans l'univers du langage. C'est le
seul endroit où ils peuvent se résoudre sans trop de dégâts. Limiter les
possibilités du langage va à l'encontre de cette évidence.
Il est révélateur que les termes xyloglottes perdent systématiquement leur
neutralité. La pensée pré-existe, puis elle s'exprime avec le vocabulaire qui a
cours au moment où l'on parle. Si l'on veut insulter quelqu'un en
sous-entendant qu'il est inférieur, peu importe qu'on le qualifie d'handicapé,
de personne à mobilité réduite ou de personne à besoins spécifiques : ce ne
sont que des mots interchangeables et dans tous les cas ils sont péjoratifs,
car c'est l'idée que l'on exprime qui l'est. On observe la même chose avec
pédé, gay, homo, queer, etc : chaque décennie invente un nouveau terme, le
précédent étant invariablement devenu insultant ; évidemment, car dans l'esprit
du locuteur, c'est l'idée même de l'homosexualité qui est une insulte, et non
le mot qui la désigne. Le signifiant finit toujours par épouser le signifié,
jamais l'inverse.
Les zélateurs du politiquement correct sont des Sisyphe modernes, condamnés à
inventer des mots neutres qui deviendront systématiquement péjoratifs aussitôt
après. En attendant qu'ils comprennent l'inanité de leur tâche ou qu'ils se
fatiguent, on peut toujours rire avec l'excellente page officielle de défense
de la langue xyloglotte. http://cledut.net/xylo.htm
Une page à laquelle j'avais modestement contribué au siècle dernier - ça fait
tellement longtemps que je ne me rappelle même plus quels étaient les mots que
j'avais soumis à la sagacité de l'auteur...
Notes
[1] xyloglossie : langue de bois.
[2] diptéro-sodomie : enculage de mouche.
[3] moliventoagonies : luttes contre les moulins à vent.
(trouvé sur: http://www.finis-africae.net/ )
Ma gare est en travaux. Conformément à la loi, la RATP y installe des plans
inclinés et des ascenseurs afin de permettre l'accès aux fauteuils roulants. Un
panneau indique la finalité des travaux (désolé, je n'ai vraiment pas le
courage d'aller le photographier) : « installation d'un ascenseur à
destination des personnes à besoins spécifiques ».
Les personnes à besoins spécifiques : voilà une expression à la pointe des
dernières recherches en linguistique vivante, département de xyloglossie[1]
appliquée, laboratoire de diptéro-sodomie[2] pratique, bureau des
moliventoagonies[3] illusoires. Parce que voyez vous, handicapé, c'était
péjoratif. Du moins pas initialement, mais ça avait fini par le devenir. D'où
l'apparition des personnes à mobilité réduite. Mais l'adjectif réduite
présentait une trop forte connotation négative en sous-entendant clairement que
les personnes étaient diminuées. C'était inacceptable. Il a donc fallu forger
les personnes à besoins spécifiques, terme (pour l'instant) neutre et sans
connotation particulière. Évidemment, on ne comprend plus vraiment de quoi on
parle, mais quelle importance ! Ce n'est pas comme si les mots devaient avoir
un sens immédiatement compréhensible.
La féminisation des noms de fonction relève du même fantasme : en éliminant de
la langue les termes permettant d'exprimer les discriminations, on éliminerait
du même coup les discriminations. Ce n'est ni plus ni moins qu'une idée
totalitaire, digne de 1984 : limiter la pensée en contrôlant le langage. Bien
sûr cela semble moins grave puisque c'est pour la bonne cause (qui est
favorable aux discriminations ?) alors que dans le roman d'Orwell, c'est pour
maintenir une dictature. Mais ça procède exactement du même principe
totalitaire.
Un principe illusoire, puisque j'ai tendance à penser que des idées aussi
primitives que la haine de l'autre précèdent le langage et non l'inverse. Ce
n'est donc pas en rendant impossible l'expression des idées discriminatoires
que l'on supprimera la volonté de discrimination. Pire, ce qui ne serait plus
exprimable verbalement s'exprimerait probablement autrement, par exemple par de
la violence. Ironiquement, ce serait tout à fait contraire au résultat
escompté. C'est que les psychanalystes ont raison sur au moins un point : il
faut maintenir à tout prix les problèmes dans l'univers du langage. C'est le
seul endroit où ils peuvent se résoudre sans trop de dégâts. Limiter les
possibilités du langage va à l'encontre de cette évidence.
Il est révélateur que les termes xyloglottes perdent systématiquement leur
neutralité. La pensée pré-existe, puis elle s'exprime avec le vocabulaire qui a
cours au moment où l'on parle. Si l'on veut insulter quelqu'un en
sous-entendant qu'il est inférieur, peu importe qu'on le qualifie d'handicapé,
de personne à mobilité réduite ou de personne à besoins spécifiques : ce ne
sont que des mots interchangeables et dans tous les cas ils sont péjoratifs,
car c'est l'idée que l'on exprime qui l'est. On observe la même chose avec
pédé, gay, homo, queer, etc : chaque décennie invente un nouveau terme, le
précédent étant invariablement devenu insultant ; évidemment, car dans l'esprit
du locuteur, c'est l'idée même de l'homosexualité qui est une insulte, et non
le mot qui la désigne. Le signifiant finit toujours par épouser le signifié,
jamais l'inverse.
Les zélateurs du politiquement correct sont des Sisyphe modernes, condamnés à
inventer des mots neutres qui deviendront systématiquement péjoratifs aussitôt
après. En attendant qu'ils comprennent l'inanité de leur tâche ou qu'ils se
fatiguent, on peut toujours rire avec l'excellente page officielle de défense
de la langue xyloglotte. http://cledut.net/xylo.htm
Une page à laquelle j'avais modestement contribué au siècle dernier - ça fait
tellement longtemps que je ne me rappelle même plus quels étaient les mots que
j'avais soumis à la sagacité de l'auteur...
Notes
[1] xyloglossie : langue de bois.
[2] diptéro-sodomie : enculage de mouche.
[3] moliventoagonies : luttes contre les moulins à vent.
(trouvé sur: http://www.finis-africae.net/ )
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