Sh.Mandrake
2021-02-22 22:56:51 UTC
Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges.
Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que
nous discuterons du sexe des mots.
La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas
en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et
l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de
fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont
grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec
le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.
Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie
l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle.
Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à
l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe
masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une
fripouille ou une andouille.
De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un
génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et
celui des droits de l’homme aux hommes ?
Absurde!
Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.
Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que
ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents
correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit:
«Madame de Sévigné est un grand écrivain» et «Rémy de Goumont est une
plume brillante». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une
femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme.
Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un
substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer
de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord.
Certains substantifs se féminisent tout naturellement: une pianiste,
avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une
dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière
ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit
à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à
l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une
femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage
est le maître suprême.
Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement,
qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la
lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a
aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il
tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique
pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse.
J’ai entendu objecter: « Vaugelas, au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté
des normes dans ses remarques sur la langue française ? ». Certes. Mais
Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun
était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens
d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a
jamais tranché personnellement de questions de langues.
Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de
veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que
l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de
soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs
qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible
la tâche des enseignants. La société française a progressé vers
l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les
coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en
torturant la grammaire.
Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire
avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.
Jean-François Revel
https://ibb.co/sKFbWSb
Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que
nous discuterons du sexe des mots.
La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas
en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et
l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de
fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont
grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec
le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.
Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie
l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle.
Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à
l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe
masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une
fripouille ou une andouille.
De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un
génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et
celui des droits de l’homme aux hommes ?
Absurde!
Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.
Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que
ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents
correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit:
«Madame de Sévigné est un grand écrivain» et «Rémy de Goumont est une
plume brillante». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une
femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme.
Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un
substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer
de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord.
Certains substantifs se féminisent tout naturellement: une pianiste,
avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une
dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière
ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit
à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à
l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une
femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage
est le maître suprême.
Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement,
qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la
lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’Etat n’a
aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il
tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique
pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse.
J’ai entendu objecter: « Vaugelas, au XVIIe siècle, n’a-t-il pas édicté
des normes dans ses remarques sur la langue française ? ». Certes. Mais
Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun
était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens
d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a
jamais tranché personnellement de questions de langues.
Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de
veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que
l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de
soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs
qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible
la tâche des enseignants. La société française a progressé vers
l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les
coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en
torturant la grammaire.
Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire
avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.
Jean-François Revel
https://ibb.co/sKFbWSb